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PAUL DEMONT, Xénophon et Plutarque dans Der Tod in Venedig de Thomas Mann


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                           l’engagement sur le chemin de la pédérastie . Le jeu entre le désir
                           reconnu chez Jaschu et le désir caché, interdit, d’Aschenbach est
                           remarquable.
                                 Ainsi la notation de Plutarque, retenue par Schopenhauer, sur
                           l’âge auquel apparaît généralement, selon ce dernier, la pédérastie,
                           permet à mon avis de comprendre pourquoi et comment Thomas
                           Mann, dans Der Tod in Venedig, modifie la situation d’énonciation du
                           passage des Mémorables de Xénophon. Mais il faut immédiatement
                           ajouter que nulle part, dans les notes de travail si précises et détaillées
                           de Thomas Mann, il n’y a trace de cette lecture de Schopenhauer, ni
                           des deux citations de Xénophon et de Plutarque: les remarques ci-des-
                           sus, même si elles me semblent pourvues d’une grande vraisemblance,
                           sont donc des reconstructions d’un processus que Thomas Mann lui-
                           même a, si nous avons raison, dissimulé, consciemment ou non .
                                                                                         28
                           Le cas des citations de Plutarque, que je voudrais maintenant étudier
                           beaucoup plus rapidement, est à la fois comparable et différent. Tho-
                           mas Mann emprunte en effet non pas une citation isolée, mais de nom-
                           breux éléments à Plutarque, qu’il a recopiés (dans la traduction Kalt-
                           wasser, parue en 1911, au moment de l’élaboration de Der Tod in Vene-
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                           dig) dans les notices de travail n°11-13 et n°28: il semble donc être re-




                           27  W. Deuse note aussi le caractère symptômatique de la notation qu’ajoute
                           aussitôt Thomas Mann, sur les fraises bien mûres qu’Aschenbach consomme
                           immédiatement: «Und dann frühstückte er große, vollreife Erdbeeren» (p. 39
                           Reed), à comparer aux fraises trop mûres, «einige Früchte, Erdbeeren, über-
                           reife und weiche Ware», achetées bien plus tard, peu de temps avant sa mort,
                           par Aschenbach (p. 78 Reed).
                           28  A. Heilbut, Thomas Mann. Eros and Literature, Knopf, New-York, 1996, p. 254:
                           «No writer before Mann had played so artfully with the contrasting desires
                           of adults and adolescents (…) Society allows Tadzio only one passionate
                           friend ; the enjoyment of youth is legally forbidden to age». Le processus de
                           dissimulation participe probablement d’une volonté plus large de dissimuler
                           des sentiments que Th. Mann (qui, lui, n’avait pas cinquante ans…) a éprouvés
                           lui-même, et qu’il a notés ailleurs, comme l’ont montré ses Tagebücher. Sur tous
                           ces aspects, voir par exemple le résumé d’E. bahr, op. cit., p. 54-58.
                           29  Voir notamment T. J. Reed, Thomas Mann: The Uses of Tradition, Clarendon,



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