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PAUL DEMONT, Xénophon et Plutarque dans Der Tod in Venedig de Thomas Mann
Je voudrais essayer de préciser cette observation. Il faut d’abord rap-
peler la façon dont Thomas Mann décrit sa découverte passionnée de
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Schopenhauer. Comme l’écrit Helmut Koopmann , ce n’est pas seu-
lement l’un de ses héros antérieurs, Thomas buddenbrook, mais lui
aussi qui l’a éprouvée, après avoir longtemps laissé dormir les vo-
lumes du philosophe dans sa bibliothèque sans les ouvrir, quand, le
jour venu, il s’est mis à les lire «Tage und Nächte lang»:
Ihr Wesentliches aber war ein metaphysischer Rausch, der mit spät
und heftig durchbrennender Sexualität (ich spreche von der Zeit um
mein zwanzigste Jahr) viel zu tun hatte und der eher leidenschaft-my-
stiker als eigentlich philosophischer Art war.
Ainsi, la lecture enthousiaste de Die Welt als Wille und Vorstellung a été liée
à la sexualité et à la passion, voire à l’ivresse. Thomas Mann y revient
quand il écrit en 1938 un essai sur Schopenhauer: «In der Liebe, im Ge-
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schlecht bejaht sich die Wille am stärksten» . Or c’est dans la théorie de
la sexualité selon Schopenhauer que se trouvent les références à l’antiquité
qu’il utilise dans Der Tod in Venedig. Il vaut donc la peine de revenir sur
cette théorie. L’appendice sur «L’amour grec pour les garçons» que Scho-
penhauer ajoute à la troisième édition de Die Welt… veut étudier philo-
sophiquement ce qu’il considère explicitement comme une perversion re-
poussante, mais dont il constate la présence dans un grand nombre de
civilisations, et notamment dans la Grèce antique: cela en fait donc malgré
tout un élément de la nature humaine («aus der menschlichen Natur
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selbst» ). Dans une note manuscrite ajoutée en 1859, Schopenhauer note
en particulier que dans le passage de Xénophon sur les dangers de
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l’amour, on a l’impression que les femmes n’existent même pas :
17 Op. cit. p. 181 (citation de Th. Mann, Gesammelte Werke, Fisher, Frankfurt
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am Main, 1974 XI, 111).
18 Ibid., IX, p. 562.
19 A. Schopenhauer, Sämtliche Werke. Die Welt als Wille und Vorstellung, II, Re-
clam, Leipzig, s.d., p. 662.
20 Ibid. p. 661.
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