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PAUL DEMONT, Xénophon et Plutarque dans Der Tod in Venedig de Thomas Mann
Mais le soleil joue un tout autre rôle dans le dialogue de Plu-
tarque, et dans la nouvelle de Thomas Mann. Il ne représente plus
l’Idée du bien, réservée au philosophe, mais ce qui éclaire toutes
choses dans le monde d’ici-bas, auquel il nous ramène donc inexo-
rablement. Comme on l’a souvent observé, Thomas Mann note alors,
en la soulignant, la phrase suivante de Plutarque: «Die Sonne wendet
aber unser Denkkraft von den intellektuellen auf die sinnlichen Dinge»,
et il la reprend textuellement dans Der Tod in Venedig: «Stand nicht
geschrieben, daß die Sonne unsere Aufmerksamkeit von den intel-
lektuellen auf die sinnlichen Dinge wendet ?». Tandis que l’Amour,
lui, n’illumine que la beauté et, par l’intermédiaire d’un corps, y
conduit par anamnèse. La citation de Plutarque dans la nouvelle se
prolonge ensuite en ce sens, et Aschenbach passe de la citation ex-
plicite à une rêverie qui le transforme en un Socrate âgé dialoguant
avec Phèdre. Comment expliquer ce glissement des citations de Plu-
tarque sur le Soleil et l’Amour vers le souvenir et la recréation du
Phèdre platonicien ? L’image que Thomas Mann se fait de Platon
vient en partie de Schopenhauer, tel qu’il l’interprète. Dans son
étude sur ce philosophe, il souligne que si Platon apparaît comme
un penseur ascétique, presque chrétien, qui détourne l’homme des
sens vers l’esprit, du temporel vers l’éternel, il y a chez lui un autre
Platon, «Platon als Künstler», «als Mittler zwischen oberer und un-
terer Welt, zwischen Idee und Erscheinung, Geist und Sinnlich-
keit» . C’est ce message, qu’il lit dans l’Erotikos de Plutarque, qui
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Maler im 19. Jahrhundert, Diederichs, Leipzig, 1900. Sur l’influence qu’a pu
exercer R. Kassner, je me permets de renvoyer à mon étude de 1998. Kassner
ajoute immédiatement une autre citation, bien différente, empruntée à Nietz-
sche, avec un mélange entre platonisme et nietzschéisme caractéristique
d’une partie de la réception de Platon en Allemagne au début du vingtième
siècle. Dans le livre de G. von Lukács, Die Seele und die Formen. Essays, Flei-
schel, berlin, 1911, ce sont en particulier deux essais qui ont retenu l’attention
de Th. Mann, Platonismus, Poesie und die Formen: Rudolf Kassner, p. 41-60, et
Sehnsucht und Form, Charles-Louis Philippe, p. 195-227: voir T. J. Reed, op. cit.,
p. 163-168 sur la chronologie probable de l’évolution de Th. Mann dans son
utilisation du platonisme.
35 Gesammelte Werke IX, p. 533.
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