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PAUL DEMONT, Xénophon et Plutarque dans Der Tod in Venedig de Thomas Mann
lui permet la transition avec Platon. Mais cette montée vers la beauté
n’est probablement qu’une illusion passionnée, et une ivresse de
l’artiste, qui, en fait, soumis au soleil, en reste aux choses sensibles,
aux sens, à la sensualité… C’est là une sorte d’obsession de Thomas
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Mann, perceptible dans ses notes de travail n°4-6, si terribles , cor-
respondant à l’ambition qu’il avait alors d’écrire un livre consacré
aux relations entre l’esprit et l’art (ce Geist und Kunst, un livre «pas-
sionné» qu’il attribue à Aschenbach au début de son chapitre II) et
reprise explicitement dans ses Unterhaltungen eines Unpolitischen en
1918: «Ein Künstlerleben ist kein würdiges Leben, der Weg der
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Schönheit kein Würdenweg» . Dans le monde de Schopenhauer,
selon Nietzsche lu par Thomas Mann, règne une «Todes-Erotik als
musikalisch-logisches Gedankensystem, geboren aus einer enormen
Spannung von Geist und Sinnlichkeit»: c’est aussi le cas du monde
de Gustav von Aschenbach.
bien entendu, la nouvelle de Thomas Mann a beaucoup d’au-
tres sources, à commencer par l’expérience personnelle de l’auteur
lors de son séjour à Venise, sur laquelle on a pu récemment encore
apporter de nouveaux éléments . J’ai tenté ici seulement à nouveau
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de mettre en lumière le travail d’appropriation d’une citation de Xé-
nophon transmise par Schopenhauer auquel se livre Thomas Mann,
et d’explorer quelques aspects de sa méditation sur le dialogue de
Plutarque que le même Schopenhauer citait, cet effort que Thomas
36 Par exemple: «Die Form ist die Sünde. Die Oberfläche ist der Abgrund. Wie
sehr wird dem würdig gewordenen Künstler die Kunst noch einmal zum
Problem ! Eros ist [für den Künstler] der Führer zum Intellektullen, zur gei-
stigen Schönheit, der Weg zum Höchsten geht für ihn durch die Sinne. Aber
das ist ein gefährlich lieblicher Weg, ein Irr[weg] und Sündenweg, obgleich
es einen anderen nicht giebt» (Notice 4, consacrée à définir la progression des
chapitres II à V de la nouvelle, avec une citation de Georg von Lukács que je
n’ai pas reproduite).
37 Gesammelte Werke XII, p. 573.
38 Voir Th. Rütten, Von Grünwarenhändlerinnen und Schifferknechen: Neues zur
Cholera in Thomas Manns Der Tod in Venedig, in S. Meine, G. blamberger, b.
Moll, K. bergdolt (Hrsg.), Auf schwankendem Grund. Dekadenz und Tod im Ve-
nedig der Moderne, Fink, Paderborn, 2014, p. 71-112.
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