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PAUL DEMONT, Xénophon et Plutarque dans Der Tod in Venedig de Thomas Mann



                           rieure, ne peut plus écrire mais seulement contempler l’objet aimé.
                           Thomas Mann met particulièrement en valeur ce thème du regard,
                                                                                       11
                           «almost as if [he] were deliberately illustrating Socrates’ words» . bien
                           sûr, ni Xénophon, ni Kritoboulos ne meurent. Mais cette différence
                           elle-même, qui est majeure, permet à Lorraine Gustafson d’aller plus
                           loin: Xénophon, heureusement pour lui, a rencontré Socrate et retenu
                           sa leçon, qu’il transmet à son tour à ses lecteurs ; les lecteurs de Tho-
                           mas Mann, eux, auront rencontré Thomas Mann, ils auront lu sa nou-
                                                                        12
                           velle et devront aussi en retenir la leçon. Ainsi :
                              At least it may be said that Mann uses the quotation from Xenophon
                              not merely to adorn his tale with a bit of curious learning, but to re-
                              mind his readers that the story of Aschenbach is an example, however
                              extreme, of the moral dangers which man has faced in all ages.

                           Que les Mémorables de Xénophon ait directement fourni la trame de la
                           nouvelle et que leur morale ait pu être volontairement actualisée par
                                                                                13
                           Thomas Mann dans une telle perspective «intemporelle» peut paraître
                           surprenant et discutable et c’est probablement la raison pour laquelle la
                           thèse de L. Gustafson n’est quasiment jamais examinée de près.
                                 Il faut noter d’abord que c’est le seul texte de Xénophon que Tho-
                           mas Mann cite: il n’utilise ni aucun autre passage des Mémorables, ni
                           aucune autre œuvre de cet auteur. Le Banquet avec les mises en scène
                           du même Kritoboulos qu’on y trouve (Kritoboulos se vantant de sa
                           beauté puis vainqueur du concours de beauté, 3, 7 et 4, 10), et la des-
                           cription des effets physiques du contact avec un beau garçon, que res-
                           sent même Socrate (4, 27) auraient pourtant pu lui fournir d’autres élé-
                           ments, s’ils les avaient connus. Il est donc vraisemblable que Thomas
                           Mann s’est contenté de lire cette seule page.
                                 Les critiques qui ont ensuite examiné cette citation cryptée se sont
                           alors interrogés moins sur son sens que sur la façon dont Thomas Mann






                           11  Ibid. p. 213.
                           12  Ibid. p. 210.
                           13  E. Shookman, op. cit., p. 71.



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