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PAUL DEMONT, Xénophon et Plutarque dans Der Tod in Venedig de Thomas Mann


                           ajoute qu’il n’est même pas besoin d’un baiser: un regard suffit. «Il in-
                           jecte quelque chose, même de loin, même sans qu’on le touche, si on
                           le voit, qui rend fou». Et Socrate enjoint alors à Xénophon: «A chaque
                           fois que tu vois un beau garçon» (ὁπόταν ἴδῃς τινὰ καλόν), je te
                           conseille de t’enfuir en courant. Et à toi, Kritoboulos, de partir pour un
                           an: tu auras même du mal à recouvrer, peut-être, la santé dans ce grand laps
                           de temps» (σοὶ δ’, ὦ Κριτόβουλε, συμβουλεύω ἀπενιαυτίσαι· μόλις
                           γὰρ  ἂν ἴσως ἐν τοσούτῳ χρόνῳ ὑγιὴς γένοιο)». Xénophon conclut
                           en notant que, en tout cas, Socrate, lui, restait entièrement maître de
                           lui à l’égard des plaisirs de l’amour. Cette discussion est le premier
                           dialogue rapporté dans les Mémorables, et Xénophon, l’auteur, s’y met
                           ainsi en scène comme recevant de Socrate une leçon détournée de maî-
                           trise de soi, d’ἐγκράτεια, une vertu absolument essentielle pour lui.
                                 Ce contexte de la citation révélerait une source de la nouvelle
                                                                       10
                           toute entière, et en préciserait la leçon morale .

                              It expresses in a few paragraphs the theme of Der Tod in Venedig. Socrates
                              tells Xenophon (and Mann shows his readers) that sensual beauty can pro-
                              duce a kind of madness in an apparently sensible man. This identity of
                              theme is emphasized by the parallelism observable in the main characters,
                              the steps in the development of the plot, and even some of the incidents.


                           Kritoboulos correspond à Jaschu, aucun des deux ne prenant part au
                           récit, mais tous les deux servant d’exemple, la beauté est personnifiée
                           par un jeune garçon dans les deux textes. Aschenbach, comme Xéno-
                           phon, est respectable et respecté, mais fragile et faible face à l’amour
                           (Gustafson cite une traduction anglaise des Mémorables: «Judging from
                           this dialogue alone, Xenophon was in Socrates’ opinion one “whose
                           footing was insecure”» en matière d’amour ; le texte grec dit exacte-
                           ment: «Voilà comme il [Socrate] pensait qu’il fallait que se comportent
                           en amour les hommes qui manquent de sûreté en la matière»). Le sort
                           d’Aschenbach amoureux sera celui qu’annonce Socrate à Xénophon:
                           il dépense des sommes importantes, se trouve privé de sa liberté inté-





                           10  Ibid. p. 211.



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